vendredi 29 mars 2013

Le livre qui rend dingue

Une novella de Frédéric Mars, publiée chez StoryLab en numérique exclusivement.




C'est le plus grand best-seller de tous les temps. Le livre raz-de-marée. En quelques semaines, il se vend à des centaines de millions d’exemplaires, le monde entier est subjugué. Mais bientôt d’étranges phénomènes frappent les lecteurs…



J’aimerais débuter ce billet par deux considérations très importantes :


- C'est la chronique de Lune qui m'a donné envie de lire cette novella.


- J’aime les canards. Bon, pas autant que les ornithorynques, mais quand même c’est un bon début.


Et là vous vous dites probablement : pourquoi cette dingue (je n’ai effectivement pas besoin d’un livre pour le devenir) nous parle-t-elle de canards ?
Eh bien, parce que tout commence, en partie, avec un canard. Dans Le livre qui rend dingue, un narrateur, plutôt exaspérant au début, mais quand même assez marrant, fréquente un atelier d’écriture dans le but avoué de choper la belle Fadila qui se fiche de lui comme d’une guigne. Or, jouer les scribouilleurs pour draguer n’a pas que des avantages, à un moment il faudra bien écrire et surtout lire sa prose aux autres. C’est là qu’intervient le canard et qu’il coule à pic (pauvre bête)…
Oui mais voilà, on ne devrait jamais sous-estimer un canard, car si le texte de notre narrateur n’a eu aucun succès à sa première lecture, il semble avoir de très étranges propriétés à l’écrit…
Et là vous voulez en savoir plus, n’est-ce pas ? En tout cas vous devriez car cette novella est géniale, extrêmement bien pensée, drôle et incisive.
D’exaspérant et un brin pleurnichard, le narrateur passe même à sympathique. Son ton perpétuellement sarcastique, son cynisme et sa mauvaise foi sont absolument délectables. Mais au-delà de l’aspect addictif et amusant de cette lecture, une très intéressante réflexion sur l’écriture, sur la lecture, la littérature en général et tout le petit monde qui gravite autour se met en place. C’est certainement cela qui m’a le plus séduite. Mais bon, tout est subjectif, comme se plaît à nous le rappeler l’auteur avec raison. Le lecteur ne voit jamais que ce qu’il veut voir. Il l’interprète et le ressent à travers son propre vécu. Cependant, c’est aussi ce qui fait la richesse de la lecture et surtout du partage qui peut ou non accompagner celle-ci. Puis, il est toujours possible de découvrir de nouvelles choses en relisant un livre, osciller vers plus d’objectivité, mais également moins, selon ce qu’on a pu vivre entre-temps.
Cependant, croyez-le bien, il n’y en a pas que pour les lecteurs dans cette histoire (c’est juste la catégorie qui me touche le plus. Égocentrisme, quand tu nous tiens…). Les auteurs, éditeurs, blogueurs, journalistes, les prix littéraires et leurs jurys, les animateurs d’ateliers et clubs de lecture, tous en prennent pour leur grade, titillés par l’humour grinçant qui rythme le texte.
Plus qu’une agréable lecture, Le livre qui rend dingue a été un vrai coup de cœur que, j’espère, vous serez tentés de découvrir.


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lundi 25 mars 2013

Villa Giudita et autres nouvelles

Un recueil de nouvelles de José Wolfer, publié chez Persée.




Les êtres humains sont comme certaines maisons : la "façade" peut se révéler trompeuse, et ne rien dire de leurs mystères. Dans la "Villa Giudita" sur les rives du Lac Majeur, que Régis et Maïka croyaient déserte et vouée à la démolition, un vieux chanteur aigri espère l'improbable retour de sa partenaire. Régis et Maïka cherchaient à s'abriter de la pluie, les voici invités, à leur corps défendant, dans une histoire douloureuse aux feux mal éteints. Dans les autres nouvelles de ce recueil, d'autres êtres "se mettent en route", chacun à sa manière, joyeux ou désenchantés, tous avec l'espoir de trouver "quelque chose". Un géologue paléontologue court après le chapeau envolé d'une artiste, un chaman sud-africain et son secrétaire pistent l'insaisissable crâne d'un ancêtre décapité, un professeur traque le dramaturge anglais qui a humilié sa classe, un patron de cirque italien et une famille belge fraternisent à la faveur d'un embouteillage géant... Cortège cosmopolite qui illustre, dans la dérision ou la mélancolie, l'imprévisible engrenage des circonstances - le hasard - et les multiples façons de l'affronter. Ce qui unit ces personnages, aussi différents et éparpillés qu'ils paraissent, c'est un même désir de reconnaissance : aussi ne sauraient-ils rester immobiles, ou résignés, car c'est ailleurs, loin des routines et des repères familiers, qu'ils se découvriront le mieux. Partir, revenir, et entre les deux, avoir appris...


Certains pensent qu'ils font un voyage ; en fait, c'est le voyage qui vous fait ou vous défait (Nicolas Bouvier, L'usage du monde).




  • Martel en tête ou les tribulations d’un royal crâne

  • Massimo le magnifique

  • Villa Giudita

  • Lâcher prise

  • L’été des deux chagrins

  • La monnaie de sa pièce

  • Un désir d’arc-en-ciel

  • La chambre d’appel

  • Si la photo est bonne…


Dans les neuf nouvelles qui composent ce recueil, il est plus question de rencontres que de voyages, au contraire de ce que laisse croire le résumé de quatrième de couverture. Ces textes dont les histoires sont en apparence simples, presque banales, nous parlent avec une certaine sensibilité du rapport à l’autre dans toutes ses variantes. Il y a ces personnes que l’on croise et qui changent nos vies, pour le meilleur ou le pire, ces rencontres brèves qui ne laissent qu’un mince souvenir et à cause desquelles, quand on y repense, on ne peut qu’explorer le champ des possibles en esprit avec nos « et si » approximatifs, qui resteront à jamais invérifiables. Rencontres dérangeantes, désagréables ou au contraire inespérées, gens qui ne se comprennent pas ou se comprennent au contraire trop bien, communion d’âmes, sympathie innée ou qui se tisse petit à petit… Les rencontres sont multiples, mais toujours enrichissantes à leur façon et c’est cela, cette alchimie fragile qu’il peut y avoir dans la confrontation à autrui, que vous trouverez dans ce recueil empreint d’humanisme.
Sans chercher à donner des leçons ou à montrer les gens meilleurs qu’ils ne le sont, l’auteur brosse des situations qui sortent un peu de l’ordinaire, ce qui évidemment justifie leur récit, mais n’enlève rien au fait qu’elles restent plausibles, presque normales.
Certaines histoires m’ont plus intéressée que d’autres, mais c’est plus une question de goût que de style. Il y a une grande cohérence dans ce recueil et les différents textes se valent plus ou moins en qualité. Le style varie peu, agréable, mais sans plus, avec ses longues phrases fleuves. Il y a par contre de nombreuses coquilles, des sauts de ligne inexplicables, un usage des tirets plutôt incongru et quelques autres petites erreurs de ce genre qui gâchent un peu la lecture et m’ont agacée. Mais revenons au plus important : les nouvelles en elles-mêmes.
Certains textes, donc, m’ont laissée de marbre, comme Villa Giudita ou encore Un désir d’arc-en-ciel, parce que, tout en n’étant pas déplaisants pour autant, ils sont assez convenus. D’autres par contre m’ont séduite par leur originalité. Je pense notamment au premier texte qui ouvre ce recueil et qui nous parle de la confrontation de deux cultures ou de deux visions du monde, cela dépend de quel point de vue on se place. Le mysticisme et la tradition se trouvent en face de la logique, qui n’admet ni l’à peu près, ni le symbolisme. J’ai apprécié le thème autant que la façon dont il a été traité.
Massimo le magnifique est une nouvelle aussi agréable à lire que la précédente, grâce, en grande partie, à son petit côté décalé. La situation sortant de l’ordinaire dans laquelle se trouvent empêtrés les personnages n’est pas non plus étrangère à l’intérêt de ce récit. C’est un texte pétri d’humanisme et c’est probablement pour cela qu’il me plaît.
Pour d’autres, comme La chambre d’appel et Lâcher prise, j’ai plus apprécié le propos que le récit en lui-même.
L’été des deux chagrins et Si la photo est bonne… sont pour moi un peu à part, par rapport aux autres textes. Ils sont consacrés à l’esprit de groupe, mais par l’intermédiaire d’un individu, sans doute pour ne pas présenter le groupe comme une masse compacte qui nous serait inaccessible. J’ai beaucoup aimé le premier, mais le second m’a laissé une impression mitigée, comme s’il manquait quelque chose à cette histoire, bien que la façon dont peuvent se créer des liens dans les groupes soit bien amenée.
Ma grande préférence va finalement à La monnaie de sa pièce, récit conté par un jeune homme. Celui-ci nous parle de la rencontre d’une classe avec un professeur un peu particulier et de cette année spéciale passée auprès de lui. Cette histoire de solidarité, de liens qui se tissent, d’alchimie qui se crée et perdure représente bien l’esprit de ce recueil, car il n’est, dans toutes ces nouvelles, question que de cela.
Je ne garderai sans doute pas un souvenir impérissable de cette lecture dans son entier, mais plutôt de certains textes en particulier. Quoi qu’il en soit, Villa Giudita et autres nouvelles et un recueil bien construit, cohérent, au thème plaisant et plutôt bien développé.




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lundi 18 mars 2013

Sang d'ocre

Une novella de Lydie Blaizot, publiée aux éditions du Petit Caveau.




Ashleigh Lordhale, jeune sorcière d'origine anglaise, est la dernière membre de la caste des Sang d'Ocre, décimée par les Rosaire d'Argent, leurs rivaux. Afin d'échapper à ses poursuivants, elle est venue se réfugier en Nouvelle-Zélande, où elle espère mener une vie paisible. Mais c'est sans compter sur Harold Leydenfield, chef des Rosaire, qui veut absolument la sacrifier afin de récupérer le potentiel magique qu'elle recèle. Cette belligérance va perturber le paisible quotidien des vampires de l'île qui vont opter pour la solution la plus simple : forcer Ashleigh à partir. Ils espèrent ainsi éviter les foudres de Leydenfield. Lorsque l'amour et la conspiration s'en mêlent, rien ne se passe comme prévu...



Cette novella, composée de six chapitres, a d’abord été publiée au format numérique, sous forme de feuilleton mensuel. Le présent billet porte sur la version papier, sortie après la fin des parutions numériques. Cela a son importance car d’une part l’ouvrage est un très bel objet, la couverture est superbe et cartonnée, il y a deux illustrations en noir et blanc à l’intérieur, ce qui ne manque pas de charme, mais d’autre part, pour ce qui est du texte, on voit beaucoup plus les défauts en lisant les chapitres à la suite que quand on en découvre un par mois pendant six mois.
L'écriture d'un feuilleton est un exercice plutôt compliqué. Il faut capter l’attention du lecteur dès le premier chapitre, mais surtout la garder intacte. Il ne doit pas non plus être perdu à la lecture du chapitre suivant, surtout quand les intervalles entre deux parutions sont assez longs, sinon, c’est sûr, il va décrocher. Donc, si l’intrigue doit être captivante tout du long, elle ne peut pas non plus être trop complexe et l’équilibre parfait est très difficile à obtenir. Or, le format de la novella requiert lui-même une certaine finesse dans son élaboration, un équilibre particulier dans le dosage de l’action et dans son développement, sinon on a vite fait de se retrouver face à une nouvelle délayée ou un synopsis de roman.
Dans Sang d’ocre, il y a de nombreux rebondissements pour répondre aux nécessités du feuilleton et ils sont plutôt bien amenés. Mais si l’intrigue est très plaisante, surtout par son côté onirique, par le cadre dans lequel elle se déroule et l’originalité de protagonistes comme le Percepteur ou le perroquet d'Ashleigh, elle reste peu développée, pour ce qui est de l’univers comme des personnages. C’est dommage car elle ne manque pas de potentiel. On a forcément envie d’en savoir plus sur les castes de sorciers et la guerre qu’elles se sont livrée, sur le fonctionnement de la magie et le passé des personnages. Et puis, pour ce qui est de l’intrigue présente, on passe vraiment trop rapidement sur certaines choses. Les sentiments des personnages arrivent vite et semblent bien superficiels dans la façon dont ils sont traités. Il y a aussi beaucoup de questions qui restent sans réponses.
Ce texte n’était pas fait pour être une novella et ressemble plus à un roman qu’on aurait survolé. C’est d’autant plus frustrant que cette courte histoire se lit bien vite et que le résumé de l’éditeur en dit beaucoup trop pour qu’on en profite vraiment. Le style de Lydie Blaizot est par contre toujours aussi plaisant et son imagination débordante ne peut que donner envie de découvrir ses autres écrits.


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mardi 12 mars 2013

Block party : Un roman à dix étages

Un roman de Richard Milward, publié chez Asphalte éditions.




La jolie Georgie aime deux choses : les bonbecs et son petit ami Bobby. Bobby l'Artiste aime deux choses : Georgie et peindre sous l'influence de drogues psychédéliques que lui refourgue son voisin Johnny. Johnny le dealer de service aime deux choses : le porno et sa petite amie Ellen. Ellen la chômeuse professionnelle aime deux choses : Johnny et faire l'amour, mais pas avec Johnny, parce qu'il ne sait vraiment pas s'y prendre. Tout ce petit monde se croise, trinque et fait la fête à Peach House, une tour HLM de Middlesbrough, au nord de l'Angleterre. Jusqu'au jour où les toiles de Bobby sont repérées par une galerie branchée de Londres. L'harmonie apparente de Peach House y survivra-t-elle ?



La première excentricité notable à propos de ce roman c’est qu’il est composé d’un seul et même paragraphe qui fait dans les trois cents pages. Cela devrait déjà suffire à vous donner un peu l’idée de ce qu’est l’esprit de ce livre.
L’histoire est très visuelle, toujours en mouvement. Si elle s’attarde parfois dans les soubresauts nerveux des délires de certains personnages, ils sont vite balayés par d’autres pistes à suivre. On passe d’un protagoniste à l’autre au gré de leurs rencontres ou d’associations d’idées, comme si une caméra les suivait en traveling, s’accrochait aux pas de l’un, se laissait emporter au passage par un autre. Farfelue, tourbillonnant à la suite de ces personnages déjantés, l’histoire semble néanmoins suivre un fil invisible. Elle nous entraîne dans les rues d’une petite ville ouvrière du nord de l’Angleterre et, surtout, dans la tour HLM de Peach House où vivent nos personnages.
Ils sont tous plus barges et paumés les uns que les autres, mais cinq d’entre eux se détachent plus particulièrement du lot. Il y a Georgie la brave fille, pas très futée (que j’ai eu envie de claquer chaque fois qu’elle pensait ou parlait avec les mots d’une gamine de quatre ans) et son chéri Bobby l’artiste drogué jusqu’à la moelle, avec lui tout y passe, il vaporise du déodorant sur ses pulls sales et les renifle pour ne pas redescendre trop vite ou sniffe du nescafé quand il est trop en dèche pour se payer de l’ecstasy (Servietsky, sort de ce corps !). Il y a aussi Johnnie dealer occasionnel et psychopathe paranoïaque régulier, puis sa copine Ellen, la glandeuse professionnelle dont le sexe est le hobby principal. Et enfin il y a Alan, dit le salaud, qui est juste un raté de plus. Si son histoire est cousue de fil blanc, un peu comme toutes celles qui peuplent ce roman, elle n’en est pas moins touchante malgré les travers de cet homme. D’ailleurs, elle est peut-être la seule à vraiment susciter de la compassion.
Il y a dans cette histoire une belle brochette de tarés en tous genres, à qui on a envie de filer des claques pour leur remettre le cerveau à l’endroit. Ils peuvent nous laisser consternés, dépités ou mélancoliques, mais aussi nous faire rire. Autant vous le dire, on n’est pas sortis du pub avec cette bande de cinglés, mais le pire dans tout ça c’est qu’on finit par s’attacher à eux. Bobby en est l’exemple le plus flagrant. L’auteur le compare à un clébard et il n’a pas tort, on a envie de le secouer, puis on s’y habitue… C’est un chouette toutou au fond, il bave un peu, mais il est gentil… Et si la fin réservée aux deux couples n’est pas crédible pour trois sous, si naïve puisse-t-elle sembler dans son optimisme, on s’en fiche un peu parce qu’on les aime bien quand même.
Ça se laisse lire sans trop perdre le lecteur en route, même si l’insistance de l’auteur sur certains passages m’a parfois fait l’effet d’une craie crissant sur un tableau noir. Aussi curieux que cela puisse paraître avec tout ce que j’ai pu en dire, j’ai apprécié cette lecture atypique.
Le style est trash, assez brut, sans demi-mesure ou fioritures, s’adaptant à la pensée naïve ou basique des personnages. Ça ne semble pas voler très haut, mais c’est pourtant étudié. Même si je n’ai pu m’empêcher de me demander, l’idée étant en plus renforcée par l’effet que produit l’absence de paragraphes, si l’auteur n’avait pas écrit le tout d’une traite, une nuit après s’être savamment torché… Bobby accroche bien ses toiles n’importe comment pour s’en débarrasser et aller se murger… La spontanéité dans l’art n’est pas un mal et ce roman semble être un pied-de-nez à beaucoup de ce qui fait notre littérature contemporaine…
A noter qu’il y a à la fin du livre une playlist suggérée par l’auteur, exclusivité de la version française, avec le lien pour l’écouter sur le net. J’apprécie toujours ce genre de bonus et c’est d’autant plus appréciable que la musique a une part importante et significative dans cet ouvrage.
Je ne peux que vous encourager à vous faire votre propre opinion sur Block Party car elle ne peut être que très subjective et tranchée dans le cas présent, on aime ou on déteste.

dimanche 10 mars 2013

L'âge des miracles

Un roman de Karen Thompson Walker, publié chez Presses de la Cité.

Présentation de l'éditeur :
Une journée d'octobre apparemment comme les autres, l'humanité découvre avec stupeur que la vitesse de rotation de la Terre a ralenti. Les jours atteignent progressivement 26, 28 puis 30 heures. La gravité est modifiée, les oiseaux, désorientés, s'écrasent, les marées se dérèglent et les baleines s'échouent... Tandis que certains cèdent à la panique, d'autres, au contraire, s'accrochent à leur routine, comme pour nier l'évidence que la fin du monde est imminente. En Californie, Julia est le témoin de ce bouleversement, de ses conséquences sur sa communauté et sa famille. Adolescente à fleur de peau, elle est à l'âge où son corps, son rapport aux autres et sa vision du monde changent : l'âge des miracles. Entre roman d'anticipation et roman d'apprentissage, L’Âge des miracles est un livre visionnaire sur la capacité d'adaptation de l'homme, poussée ici à son paroxysme.
Et si la fin du monde arrivait lentement, presque sans qu’on s’en aperçoive ? C’est vrai, on attend toujours quelque chose de spectaculaire… On ne s’imagine pas le monde que l’on connaît périclitant lentement, même si on dit souvent le contraire avec tout ce qui se passe à l’heure actuelle… Mais si la fin du monde arrivait réellement sans tambour ni trompette, sans catastrophe vraiment notable, se faufilant doucement dans notre quotidien jusqu’à ce qu’il soit trop tard, alors que l’on se rend enfin compte du changement, pour faire machine arrière. Comment nous adapterions-nous quand surviendraient les premiers effets ?
L’âge des miracles est un roman d’anticipation très réaliste, peut-être pas d’un point de vue scientifique, je ne suis pas apte à en juger, mais d’un point de vue sociologique. Comment réagirait-on si la Terre commençait subitement à ralentir ? Et que se passerait-il pour les créatures vivantes peuplant la planète à mesure que se rajoutent des minutes aux jours comme aux nuits ? Que deviendraient nos habitudes, notre mode de vie ? Et surtout comment survivre ?
On ne se rend pas forcément compte de ce qu’impliquent des nuits et des journées plus longues, pourtant ça ne concerne pas seulement notre rythme de vie et l’auteur nous brosse avec minutie un tableau peu reluisant de ce qui adviendrait alors de l’humanité.
Julia, qui entrait à peine dans l’adolescence quand sont survenus les premiers changements, nous raconte comment le ralentissement a agi sur son monde, mais également sur elle, sur ses proches, de manière presque insidieuse. Toutes ces histoires parallèles, celle de la planète et de la famille de Julia, de ses camarades de classe, son quartier, son pays, se répondent les unes les autres, se mêlent et sonnent vraies.
Le parallèle entre ce ralentissement général et les changements dus à l’adolescence est fait avec subtilité et délicatesse. L’auteur a vraiment bien travaillé son sujet, ne laissant au hasard aucune conséquence, générale ou individuelle, induite par le ralentissement.
Si Julia a vieilli quand elle se penche finalement sur le récit de cette période de son existence, c’est néanmoins son regard de jeune fille qui se pose encore, la plupart du temps, sur ces événements. Elle était à cet âge charnière où l'on ne sait plus trop si l’on est encore un enfant ou déjà un adolescent et cela se ressent dans le récit. Le style est superbe, mais cette narratrice ne plaira pas à tout le monde. Ce n’est pas pour rien que ce roman a été publié sous deux couvertures différentes, privilégiant chacune une représentation particulière de cette histoire : la quête initiatique pour la jeunesse, l’anticipation dans sa globalité pour les adultes. Mais peu importe l’artifice censé attirer le lecteur, le texte est le même et il faut accepter de se mettre à la place d’une enfant… Le récit ne manque pas de maturité, mais les priorités de Julia n’étaient pas forcément les mêmes que celles des adultes à l’époque.
Ce roman peut sembler sombre et un peu désespérant par moments, alors que les faits se succèdent, détaillés d’une manière un peu pointilleuse par une Julia légèrement psychorigide qui semble vouloir consigner la moindre petite chose. Elle est un peu froide parfois, comme pour cacher son incapacité à gérer tous les événements auxquels elle se trouvait confrontée à un âge où elle est était encore trop jeune pour les comprendre. Et le récit est très lent, bien sûr, à l’image de la course de la Terre qui peu à peu ralentit, mais sans pour autant devenir lourd. Si l’atmosphère peut se faire pesante par instants, c’est que l’on sait que tout ce que l’on connaît est en pleine déliquescence et que c’est inéluctable.
Ce roman est mélancolique, c’est d’autant plus frappant qu’il est très réaliste, mais aussi extrêmement bien écrit. Je l’ai adoré. C’est dans la banalité des événements qu’il décrit et des sentiments de Julia qu’il est le plus bouleversant. Le diable se cache dans les détails et Karen Thompson Walker a à cœur de nous le montrer, mais également de nous le faire ressentir.
L’âge des miracles, c’est aussi la quête initiatique de Julia lors de cette année d’entrée au collège, de grands changements dans sa vie. L’auteur nous décrit ces petites choses qui font que la vie bascule d’un côté ou de l’autre. Une amie qui s’en va et creuse le vide autour de celle qui reste, des mots échangés, ou pas, une boîte de conserve de plus ou de moins dans un placard… Tout a son importance. L’âge des miracles est un texte très réfléchi, très bien construit, ne laissant rien au hasard et dans lequel l’évolution de Julia et du monde vont de concert, de façon chaotique, incertaine, mais crédible. Cette vraisemblance me touche tout particulièrement.
Je n’ai qu’un seul reproche, les petites anticipations du récit, « si j’avais su que », sont très nombreuses et ont fini par me gêner. Dans un tel récit, on n’a pas vraiment besoin d’une dose de stress supplémentaire… J’ai déjà eu du mal à ne pas me ruer dans le supermarché le plus proche pour faire des réserves… Eh oui, je suis toujours aussi paranoïaque. Mais l’écriture de l’auteur y est vraiment pour quelque chose, on ressent l’inquiétude des personnages, on sait que cette situation est plausible et qu’on pourrait se trouver à leur place.
J’ai eu des sentiments assez ambivalents au cours de cette lecture, j’avais toujours un peu de mal à m’y plonger, redoutant ce que j’allais lire. Mais, une fois le livre ouvert, c’était une torture de devoir le reposer. Et je l’ai aimé, vraiment. C’est un ouvrage que je vous conseille si vous êtes d’humeur à lire de l’anticipation qui ne verse pas dans le sensationnalisme et qui reste très humaine.

vendredi 8 mars 2013

Roji ! T1

Un manga de Keisuke Kotobuki, publié chez Ki-oon.





Yuzu et Karin sont deux sœurs au caractère très différent, l’une fofolle, l’autre sérieuse. Entre deux bagarres pour rire avec les garçons, elles enjolivent le quotidien à coup d’idées toutes plus farfelues les unes que les autres. Trouver un nouveau foyer pour des chatons abandonnés, débusquer une mystérieuse librairie qui n’ouvre qu’à minuit ou improviser une piscine sur un toit d’immeuble… aucun défi ne leur résiste ! Toujours accompagnées de Zanzibar, le plus grognon des chats du quartier, elles traquent les légendes locales et découvrent petit à petit que le merveilleux n’est jamais très loin… À mi-chemin entre la poésie d’un long métrage de Hayao Miyazaki (Le Voyage de Chihiro, Mon voisin Totoro…) et le grain de folie d’un Alice au pays des merveilles, ne manquez pas Roji !



Roji ! est un manga pour enfants (je dirais à partir de sept ans) en couleur et dessiné directement dans le sens de lecture occidental par la mangaka.
Il relate les petites histoires de deux sœurs Yuzu et Karin, de leur étrange chat Zanzibar et de leur bande de copains dans la ville de Kamishiro.
Les dessins sont très jolis, malgré quelques fonds un peu ternes qui se justifient par l’environnement citadin dans lequel évoluent les enfants. Les personnages sont adorables, avec leurs grands yeux, même s'ils ont aussi l'air un peu à l'Ouest parfois. Les couleurs sont superbes. Le tout donne une impression de douceur très agréable.
Chaque chapitre est une histoire à part entière, sauf le dernier qui promet une suite dans le prochain volume. Ces courts récits, s’ils sont inventifs quant aux idées que les enfants ont pour occuper leur temps, ne sont pas pour autant très développés et c’est bien dommage. J’ai souvent eu l’impression que l’histoire était finie avant d’avoir commencé…
Le fantastique est partout dans ce manga, les gamins le traquent, l’invoquent, l’enrichissent de leur imagination, mais s’en désintéressent quand ils le rencontrent ou ne le remarquent même pas quand il devient bien réel.
J’ai vraiment apprécié que la ville soit littéralement habitée par le merveilleux, c’est un thème cher à mon cœur, mais je ne peux m’empêcher d’être déçue au final par la superficialité des histoires. Il y a plein de bonnes idées dans Roji ! pourtant on s’ennuie un peu et je ne pense que ça vienne du fait que je suis trop vieille pour cette lecture. Des enfants s’ennuieront tout autant que moi en le lisant et auront peut-être encore plus de mal à s’attacher aux personnages.
Peut-être l’univers de Yuzu et Karin sera-t-il plus développé dans le second tome, ce que j’espère car il y a de la matière. On nous promet un voyage onirique, mais avec ce premier volume, je suis restée sur le quai.

La Sélection

Un roman de Kiera Cass, publié chez Robert Laffont dans la collection R.





Elles sont trente-cinq jeunes filles : la "Sélection" s'annonce comme l'opportunité de leur vie. L'unique chance pour elles de troquer un destin misérable contre un monde de paillettes. L'unique occasion d'habiter dans un palais et de conquérir le cœur du prince Maxon, l'héritier du trône. Mais pour America Singer, cette sélection relève plutôt du cauchemar. Cela signifie renoncer à son amour interdit avec Aspen, un soldat de la caste inférieure. Quitter sa famille. Entrer dans une compétition sans merci. Vivre jour et nuit sous l’œil des caméras... Puis America rencontre le Prince. Et tous les plans qu'elle avait échafaudés s'en trouvent bouleversés...



Autant le dire tout de suite, si ça n’avait pas été pour le club de lecture de Vampires & Sorcières (lecture de février 2013, avec le premier volume des étoiles de Noss Head que j’avais déjà lu…), je n’aurais jamais ouvert ce livre et force est de constater que je ne m’en serais pas portée plus mal.


La Sélection est une dystopie pour ados tout ce qu’il y a de plus basique. Ce récit ne nous épargne donc aucun poncif du genre : héroïne pauvre qui ne demande rien à personne et va se retrouver malgré elle en ligne de mire, triangle amoureux sans intérêt… C’est une histoire d’une superficialité exemplaire, enrobée de plein de bons sentiments.
Dans une société où seule compte la position sociale, une jeune fille que rien, à part son prénom (America. Fallait oser quand même… Subtilité quand tu nous tiens…) ne prédisposait à faire changer les choses va néanmoins s’y essayer. Dans le monde d’America, les gens ne peuvent choisir leur métier que dans les limites de leur caste de naissance (cherchez une logique là-dedans… Moi je n’en trouve pas. Qu’est-ce que le gouvernement gagne là-dedans ? Parce que oui une dystopie est une société empêchant le peuple d’accéder au bonheur, blablabla, mais faut quand même une logique aux actes des dirigeants…). De 1 à 8, de l’élite aux mendiants, les castes régissent la destinée de leurs membres et on n’en change pas à moins de se marier avec quelqu’un appartenant à la caste au-dessus (visiblement ce sont les femmes qui adoptent la caste de leur époux, l’inverse est impossible) ou de parvenir à économiser pour s’acheter un titre. Autant le dire, ça n’est pas gagné…
Enfin bref… America est une 5, donc une artiste. Sous-payés, ne servant pas à grand-chose et déconsidérés, ils n’ont pas la vie facile, aussi quand le prince Maxon, unique héritier du royaume, se cherche une épouse, la mère d’America voit là une bonne occasion de sortir sa famille de la misérable condition dans laquelle elle est embourbée.
Eh oui, ça se passe comme ça chez les aristos du coin, on marie les filles avec des dirigeants étrangers, mais pour les garçons on fait rêver les cendrillons du peuple en organisant un joli concours télévisé… Concours de beauté et télé-réalité, tout ce que je déteste. Ça ne m’emballait pas de voir des nanas se crêper le chignon et encore moins avec le côté télé-réalité, mais tant qu’à devoir se le farcir autant que ce soit bien. Or, dans ce roman c’est un pétard mouillé. L’idée n’étant pas le moins du monde exploitée, on peut même se demander à quoi il sert de l’avoir eue. A part, bien sûr, si l’on considère qu’il fallait une excuse pour qu’America séjourne au palais et que nous puissions la voir enchaîner toutes les scènes les plus mignonnes possibles avec le charmant prince Maxon…
Et là j’ouvre une autre parenthèse prénoms… Maxon, sérieusement ? Je n’ai pu m’empêcher de songer à un klaxon à chaque fois que je lisais son nom… Et c’est encore pire avec son père : Clarkson… Sans compter les candidates aux noms délicats comme Sosie ou encore Bariel (peut-être la contraction de baril d’ariel ?) Ils n’ont pas de grandes inventions technologiques dans ce monde dystopique, mais ils ont mis toute leur créativité dans les prénoms… Fin de la parenthèse.
Que vous dire de plus ? L’histoire d’amour, si on peut l’appeler ainsi, est mignonne, c’est vrai, et je suis à peine sarcastique en écrivant cela, mais elle l’est surtout quand on a douze ans… A côté de ça l’univers dystopique est peu développé, même si on entrevoit des choses que l’auteur garde pour la suite. Les personnages secondaires sont fantomatiques et caricaturaux, America et Maxon étant eux-mêmes peu développés, j’ai surtout eu l’impression d’une succession de scènes mises bout à bout.
Le style est plutôt médiocre d’ailleurs, lapidaire, parfois même un peu décousu et haché. La narration à la première personne est typique de ce genre d’ouvrage, mais si America peut être un minimum sympathique, ce n’est pas non plus un personnage très attachant. Elle passe son temps à pleurnicher dans sa chambre et n’en sort que pour se rendre compte à quel point Maxon est gentil et bien éduqué comparé à son rustre d’ex petit ami qu’on n’arrive néanmoins pas à virer du décor…
J’avoue que je n’en peux plus de cette mode de la dystopie YA. Ouais, des personnages de leur âge qui se rebellent contre leur société parlent sûrement aux ados… Mais ça devient tellement répétitif à force…
Dans le cas présent, la dystopie n’est qu’une vague fond colorant une intrigue amoureuse, avec le sempiternel triangle amoureux réglementaire. Peut-être l’auteur garde-t-elle quelques révélations pour la suite. C’est qu’il faut bien faire un peu de remplissage quand on décide d’étirer sur trois livres ce qui serait facilement torché en un seul…
Bref, cette histoire, comme tant d’autres, manque sérieusement d’envergure. Et c’est dommage, parce que même sans en faire un très grand texte du genre, il y avait matière à créer quelque chose de beaucoup mieux.